LA FORCE DE VIE

LE LIEN DYNAMIQUE ENTRE LE MENTAL ET LA MATIÈRE

 

Ce qu'il faut faire

 

Dieu parle au cœur quand le cerveau ne peut Le comprendre.27

 

Aussi longtemps que le mental extérieur n'est pas tranquille, l'intuition ne peut se développer. Si vous continuez à poser mille questions intellectuelles sur ce qui dépasse l'intellect, espérant que l'intuition se développera malgré cette activité mentale incessante, vous pouvez attendre jusqu'à la fin des temps.28

 

Très certainement, le rejet des doutes implique la maîtrise des pensées. Pour le yoga, et aussi en dehors du yoga, la maîtrise de nos pensées est aussi nécessaire que la maîtrise de nos passions et de nos désirs vitaux, ou celle des mouvements de notre corps. On ne peut même pas devenir un être mental pleinement développé si l'on ne domine pas ses pensées et si l'on n'est pas leur témoin, leur juge et leur maître, le Pourousha mental, manomaya Purusha, sakshi, anumanta, ishwara. Il ne sied pas davantage au mental d'être la balle de tennis de pensées déréglées et immaîtrisables, que d'être un vaisseau sans gouvernail dans l'orage des désirs et des passions, ou un esclave de l'inertie et des impulsions du corps. Je sais que c'est plus difficile, car étant avant tout une créature de la Prakriti mentale, l'homme s'identifie aux mouvements de son mental et ne peut pas subitement se dissocier et se tenir à l'abri des tourbillons et des remous de la tempête mentale. Il lui est

    


relativement facile de maîtriser son corps (du moins une certaine partie de ses mouvements), il est moins facile, mais encore très possible, après une certaine lutte, d'acquérir une maîtrise mentale de ses impulsions et de ses désirs vitaux ; mais s'asseoir au-dessus du tourbillon de ses pensées, comme le yogi tantrique sur la rivière, est moins aisé. Néanmoins, cela est possible. Tous les hommes mentalement développés, ceux qui sont au-dessus de la moyenne, doivent d'une façon ou d'une autre, du moins à certains moments de l'existence et à certaines fins, séparer les deux parties de leur mental : la partie active qui est une fabrique de pensées, et la partie calme et maîtresse qui est à la fois Témoin et Volonté, qui observe, juge, rejette, élimine ou accepte les pensées, imposant les corrections et les changements ; c'est le Maître dans la maison mentale, capable d'empire sur soi, samrajya.29

 

Toutes les difficultés peuvent être surmontées, à condition d'être fidèle à notre résolution de suivre le Chemin. Personne n'est obligé de le suivre ; mais une fois la décision prise, il faut le suivre, sinon aucun progrès, aucune réussite ne sont possibles.30

 

La rencontre de l'Esprit et de la Matière

 

La Vie est une énergisation de l'être conscient dans la substance de la Matière, qui, d'une part, fournit constamment le matériau de la formation physique et, d'autre part, s'efforce de délivrer le mental et les sens du sommeil subconscient de la Matière. Elle est par conséquent le lien dynamique entre le Mental et la Matière. Créer la forme et faire évoluer la

  


conscience hors de son emprisonnement dans la forme, telle est donc la signification de la Vie omniprésente dans l'univers.31

 

Etre conscient est le premier pas pour tout surmonter — mais pour y parvenir, la force est nécessaire, ainsi que le détachement et la volonté de surmonter.32

 

Prana

 

(prâ - force et ana - nourriture)

 

Le contrôle du Prana et le pouvoir du calme

 

Les plus grands efforts s'accomplissent lors de la rétention du souffle ; plus la respiration est rapide, plus l'énergie se dissipe. Celui qui, dans l'action, peut suspendre sa respiration naturellement, spontanément, devient maître du Prana, l'énergie qui agit et qui crée partout dans l'univers. Quand la pensée cesse, la respiration cesse elle aussi, tous les yogis en ont l'expérience. La rétention complète accomplie par le hathayogi, au prix d'efforts immenses, devient aisée, joyeuse ; mais quand la pensée reprend son activité, la respiration reprend elle aussi. Par contre, quand la pensée s'écoule sans que l'inspiration et l'expiration recommencent, alors la conquête du Prana est vraiment accomplie. Telle est la loi de la Nature. Quand nous faisons effort pour agir, les forces de la Nature font de nous ce qu'elles veulent. Quand nous devenons calmes, nous maîtrisons ces forces. Mais il y a deux genres d'immobilité. L'immobilité impuissante de l'inertie, qui annonce la dissolution, et le calme du yogi. Plus le calme est complet, plus le pouvoir du

 


yogi est grand, et plus est grand son pouvoir d'action. Dans ce calme, vient la connaissance juste. La pensée des hommes est un mélange inextricable de vérité et de fausseté, satyam et anritam. La perception juste est troublée et obscurcie par la fausse ; et par cette fausseté le jugement correct est lui aussi perverti, l'imagination véritable déformée, la vraie mémoire obnubilée. L'activité mentale doit cesser, le chitta doit être purifié ; un silence s'empare alors de la prakriti [la nature inférieure] agitée, et dans ce calme, dans cette silencieuse immobilité, le mental est illuminé, l'erreur se dissout et aussi longtemps que le désir ne se réveille pas, la clarté s'établit dans les couches supérieures de la conscience, et dans les inférieures, la paix et la joie s'imposent irrésistiblement. La connaissance juste devient la source infaillible de nos actes : yoga karmasu kausalam.33

 

Le Pranayama nâdi shudhi

 

      Comment le Pranayama peut-U nous aider à développer nos capacités mentales ? Quel rôle joue-t-il dans la réalisation de la conscience supérieure ?

 

Ce sont les courants vitaux-praniques qui soutiennent l'activité mentale.

Quand ces courants subissent une transformation sous l'effet du Pranayama, un changement se produit dans le cerveau également. L'inertie cérébrale est due à quelque obstruction qui coupe la communication avec la pensée supérieure. Quand cette obstruction est supprimée, l'être mental supérieur peut facilement communiquer son activité au cerveau. Quand on atteint la conscience supérieure, le cerveau perd son inertie. Selon mon expérience, il

    


s'emplit de lumière. Tous les exercices — les pratiques respiratoires notamment — sont seulement des moyens dont « quelque chose » par derrière se sert pour se manifester.

      Sur le plan physique aussi, nous ne faisons qu'employer certains procédés, un système de notations. Mais nous accordons trop d'importance à leur forme, car selon nous, le plan physique est le plus réel. Si seulement nous percevions que le monde physique tout entier est un ensemble de forces, et qu'il n'est que le champ d'action d'une certaine conscience et d'un certain pouvoir qui se servent de ces procédés, alors nous ne serions plus trompés par les apparences.34

 

Le mental n'agit pas directement sur la matière, il agit par l'intermédiaire de la force vitale, c'est son moyen de communication ; or cette force étant une énergie nerveuse et non point matérielle, ne peut agir sur la matière que par des impressions nerveuses formelles — des images-contacts en quelque sorte —, qui créent des valeurs correspondantes dans l'énergie-conscience que les Upanishad appellent « Prana ».35

 

      Prana, la force vitale, est le « lien dynamique entre le mental et la matière ».

 

     Comment prendre conscience de son existence ?

 

« Par la purification de nos moyens de sensation et de connaissance que le yoga rend possible », dit Sri Aurobindo.

 

      Pranayama, une inspiration et une expiration calmes. Le seul exercice à pratiquer : nadi shuddhi.

     



Asseyez-vous ou allongez-vous dans une position confortable. Avec votre pouce droit, pressez doucement la narine droite. Inspirez calmement et profondément par la narine gauche, en vous concentrant sur le plexus solaire. Imaginez que le souffle monte du haut de l'abdomen. Ne forcez pas. Ne retenez pas votre souffle. Plus votre respiration sera subtile, plus ses effets seront puissants. Imaginez que le souffle se dirige vers les sens : les oreilles, les yeux, le palais, le nez et la peau. Par la subtilité de l'inspiration et de l'expiration, et le pouvoir de votre imagination, les sens commencent à recevoir la juste dose d'oxygène, de force vitale, et leur fonctionnement est intensifié grâce au lien dynamique créé par votre pensée positive. Puis, continuez: dirigez le souffle vers les pieds ; imaginez ensuite qu'il va vers le cerveau. Pendant tout ce temps, imaginez le calme, la paix. Maintenant, pressez légèrement la narine gauche avec l'index ou le majeur, et expirez lentement par la narine droite. En expirant, imaginez et sentez que la force vitale, le souffle, se dirige vers toutes les parties du corps. Pratiquez cet exercice douze fois alternativement, respirant a"abord par la narine gauche, puis par la droite. Cela vous prendra huit à dix minutes. Répétez cet exercice deux fois par jour.

 

Sri Aurobindo nous dit que cet exercice respiratoire, si on le pratique correctement, a le pouvoir de chasser toute maladie dissimulée dans notre corps. Il accroît la vitalité et la virilité, régularise la tension artérielle, tranquillise le système nerveux. L'agitation rajasique et l'inertie tamasique s'atténuent. La nature sattvique se développe et se manifeste de plus en plus, et l'harmonie se répand dans toutes les parties de notre corps. Par ce simple exercice de pranayama, on prend conscience de l'action de l'énergie-conscience, par lequel « la matière évolue, se crée, se maintient, se désintègre et se recrée sans cesse. Tel est le cycle étemel de la vie, la réalité derrière l'existence manifestée.»

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L'énergie pranique soutient non seulement les opérations de la vie physique, mais aussi celles du mental dans le corps. Aussi, la maîtrise de cette énergie

     


permet non seulement de contrôler le fonctionnement de nos organes et de la force vitale et de transcender leurs processus habituels, mais de contrôler le fonctionnement de notre mental et de transcender ses processus habituels.

      Par le contrôle du Prana, le yogi parvient à recharger ses « batteries » en dirigeant le souffle vers les différents centres nerveux, les chakras. Ceux-ci commencent à s'ouvrir, alors que d'ordinaire ils sont endormis et ne fonctionnent que très partiellement. Le yogi peut alors manifester des pouvoirs mentaux et sensoriels, des pouvoirs de conscience dont nous n'avons pas communément l'expérience. Les soi-disant pouvoirs occultes dans le yoga proviennent de l'ouverture de ces facultés, qui se fait spontanément à mesure que le yogi maîtrise de plus en plus les forces praniques et, purifiant les canaux par lesquels elles s'écoulent, ouvre une voie de communication croissante entre la conscience de son être subtil et subliminal, et la conscience de son être grossier, physique et superficiel.36

 

Porté à son plus haut degré, ce pouvoir devient clairvoyance, qui nous permet de lire dans les pensées des autres, de voir des actions se produire à distance — dans l'espace et dans le temps ; l'habitude de concentrer le Prana dans le corps permet ainsi de développer la télépathie et d'autres pouvoirs psychiques. Dès que l'obstruction causée par le physique grossier s'atténue et qu'une paix relative s'installe en nous, le Prana devient plus subtil et le mental de plus en plus lumineux, ses rayons traversant ce qui le voilait auparavant.37

 

Le mental, en effet, agit librement et naturellement dans la matière subtile, et plus celle-ci le devient, plus le mental peut agir en toute liberté.38

   



Si nous suivons le Prana tout au long de ce processus de libération yoguique, nous découvrirons qu'il finit quand l'activité cesse ; car le Prana est une entité matérielle née de l'état de matière subtile, et dès qu'on dépasse cet état, il ne peut plus exister. Cette étroite connexion entre le Prana et l'activité existe à tous les niveaux. On peut donc affirmer que c'est Matarishwan qui rend possible toute action.

      Matarishwan est le terme philosophique désignant Vayu, le principe air. Il signifie « ce qui se meut dans la Mère ou matrice », et cela implique les trois caractéristiques de l'élément air. Il émerge directement de l'éther, la matrice commune qui est donc sa propre Mère et, finalement, la Mère de tous les éléments, toutes les forces et substances, tous les objets. Son caractère principal est donc le mouvement, qui lui-même opère dans l'éther ; quand il croît et se combine, il crée la substance d'où naîtront les soleils, les nébuleuses et les planètes ; il engendre le feu, l'eau et l'atmosphère, la terre, la pierre et les métaux ; les plantes, les poissons, les oiseaux et les animaux. Se mouvant dans l'éther, il agit au moyen de son énergie, Prana, et détermine ainsi la nature, les mouvements, les pouvoirs et les activités des formes innombrables qu'il engendre. Par les combinaisons et les opérations de cet élément air, le soleil naît, le feu jaillit, les nuages se forment, le globe en fusion se refroidit et se solidifie, et notre terre apparaît. Par cette énergie, le soleil rayonne et réchauffe, le feu brûle, la pluie tombe, la terre tourne. Toutes les choses animées aussi bien qu'inanimées doivent leur existence et leurs activités à Matarishwan et à son énergie, Prana.39

    



Hymne à Agni

 

Immense il va et il vient, dans la rapidité de l'esprit, dans le silence ; nulle rumeur, nulle clameur ; immobiles, silencieux sont les coursiers, les Forces de la vie ; et pourtant le char avance vif comme l'éclair.

Je vous le dis, la Volonté divine loge en tout notre être pour le bien de notre âme et celui des dieux qui œuvrent en l'homme ; c'est une énergie complète, absolument héroïque, vaste dans le vaste de la Vérité, lumineuse dans sa

Lumière.40

 

Brahman

 

Le Suprême n'est pas quelque chose de distant, enfermé en soi ; ce n'est pas un pur indéfinissable, prisonnier de son propre absolu sans traits, incapable de rien définir, de rien créer, de se connaître sous tous ses aspects, éternellement enterré dans un sommeil ou un évanouissement, immergé en soi. Le suprême est l'Infini et l'Infini contient le Tout. Ceux qui atteignent la plus haute conscience, deviennent infini en leur être et embrassent le Tout.

      Pour que cela soit clair, l'Isha Upanishad a parlé du Brahman comme de la Vérité, de la Connaissance, de l'infinitude, et elle nous a dit que Le connaître dans la partie la plus secrète et profonde de notre être, comme dans le suprême éther, c'est, pour l'âme individuelle, satisfaire tous ses désirs en atteignant à l'existence de soi la plus haute.41